Le syndrome de Lacomme

Publié le : 12 janvier 202332 mins de lecture
Lacomme

On désigne sous ce terme des douleurs ligamentaires du bassin chez la femme enceinte que rien ne soulage, aucune position, aucune mobilisation, etc. Le moindre appui est douloureux et elle peut être présente vingt-trois heures sur vingt-quatre. En donnant un nom à cette douleur, les patientes sont rassurées, soulagées qu’un professionnel de la santé trouve enfin ce dont elles souffrent. Cependant, ce bref instant de consolation ne dure pas, dès lors qu’elles découvrent qu’aucune solution n’est vraiment proposée, hormis les classiques séances de kinésithérapie ordinaire et une sur-médication qui, même à dose normale, n’a jamais rien donné sur ce type de douleur. Et si la plainte se poursuit malgré tout – et ce sera le cas – et qu’elle devient incessante, la patiente (étymologiquement, la patiente signifie celle qui endure, qui souffre) devient subitement « gênante », au point où elle est souvent culpabilisée et ramenée à elle-même. Solitude et désespoir, ce sont les deux autres mots auxquels pourraient être associés ce syndrome, parce que la femme enceinte découvre par son problème un vide médical inquiétant.

Ce que je vais vous raconter ici est une histoire personnelle. D’autres femmes que j’ai vu en consultation ont vécu sensiblement la même anecdote. Mais l’étude de ce cas est particulière parce qu’elle touche la femme d’un praticien et qu’il est douloureux pour un mari versé dans le domaine, de ne rien pouvoir faire pour aider sa douce épouse. Mais aussi sombre fut le chemin, l’issue a été spectaculaire. J’ai trouvé la cause, parce qu’à aucun moment je n’ai baissé les bras et je ne me suis jamais laissé intimidé par l’ignorance et l’impétuosité dont font preuve certains grands pontes pour décourager ceux qui ne vont pas dans leur sens. C’est ici un hommage à la femme qui donne la vie. Une vie chérie et précieuse, chef-d’œuvre de la nature qu’aucun illustre cerveau ne pourra jamais imiter, malgré tout l’orgueil dont il peut faire preuve.

Tout commence un matin

C’est vers le sixième mois de grossesse qu’apparait un petite « sciatique » du côté gauche au réveil. Rien de bien gênant. Personnellement, je ne prête en général pas attention à des douleurs occasionnelles qui disparaissent après quelques jours. Je calcule même large : je demande de consulter qu’après une semaine sans changement. Mais si la douleur diminue, je laisse le temps au corps de gérer cela comme il sait si parfaitement le faire. Donc les premiers jours, il n’y a rien d’alarmant.

Mais chez ma femme, la douleur augmente au fil des jours et réduit peu à peu les mouvements du quotidien. Mon épouse commence à adopter une position antalgique (pour avoir moins mal) : elle rétroverse son bassin et repose son poids en arrière et sur la hanche douloureuse, donnant cette étrange impression de protéger coûte que coûte le ventre délicat dans lequel grandit bébé. C’est une impression. En fait, cette position vise à soulager un problème, et même si, dans certain cas, cela ne s’accompagne pas de douleur, il faut toujours considérer ces positions antalgiques avec le plus grand soin. Si le corps fait ainsi, c’est qu’il y a quelque chose d’important à protéger. C’est ainsi, par exemple, qu’en observant une simple attitude inhabituelle, j’ai sauvé la vie d’une dame âgée en l’envoyant directement aux urgences : elle était en train de faire un anévrisme de l’artère iliaque. Elle a été opérée sur le champ ! Et je bénis le Ciel que je ne l’aie pas manipulée ce jour-là. Elle aurait pu mourir sur ma table d’ostéo sans même que je la touche… cela aurait un simple hasard de circonstance.

A ce moment, je ne connaissais pas encore le terme de syndrome de Lacomme. En cabinet, beaucoup de femmes enceintes me consultaient pour des douleurs pelviennes diverses et variées, envoyées par des sages-femmes ou des médecins, ou bien simplement conseillées par des amies, et les résultats, lorsqu’ils sont positifs (et c’est très souvent le cas) sont toujours spectaculaires. Je ne m’inquiète donc pas. Je manipule attentivement mon épouse à plusieurs reprises, avec confiance, mais rien n’y fait : cela ne s’améliore pas.

Ce que je trouve sous mes doigts

A la palpation, je trouve l’enfant en position assez basse, tête vers le bas, pointée anormalement vers l’ovaire gauche. Pour ne pas comprimer le petit crâne, le sacrum de la mère se met en position de nutation, c’est-à-dire qu’il effectue une légère rotation antérieure. En faisant cela, il tire naturellement sur le grand ligament sacro-sciatique, tendu entre le sacrum et l’os iliaque. Son irritation peut provoquer une sciatique en raison de la promiscuité de ce nerf. C’est ce qu’elle a.

L’attitude antalgique vise donc à protéger le bébé et à atténuer la douleur. Mais mes manipulations restent sans effet. Bébé ne remonte pas. Je me demande donc s’il n’y a pas derrière une cause médicale, ce qui n’est alors, du coup, plus de mon ressort. Je connais bien mes limites… et je les respecte. Je n’hésite donc pas à aller consulter lorsque c’est médical. Et si ma pensée va dans ce sens dans son cas, c’est parce que mon épouse et moi avions déjà vécu une histoire insensée il y a 3 ans. Nous n’avions pas encore d’enfant à l’époque. Devant un bébé qui se faisait attendre, des douleurs anormales dans le bas du ventre, et des antécédents familiaux d’infertilité (la grande sœur avait un cancer de l’hypophyse et souffrait d’infertilité), nous avions consulté des spécialistes. Mais endocrinologue et gynécologue se renvoyaient la balle, chacun prétextant qu’il n’avait pas les compétences de l’autre pour interpréter les résultats. Il y avait quelque chose, c’était évident, mais aucun n’était en mesure de trancher.

« Ah oui, ce n’est pas normal. Allez voir une gynécologue avec ces résultats » dit l’endocrinologue, empochant du coup ses honoraires. « Ah non, c’est à l’endocrinologue de poser un diagnostic, Madame. Moi, je ne suis que gynécologue. Soixante-dix euros s’il vous plait », dit la concernée (la consultation avait tenu 10 minutes). A cette réponse, je redemandais un rendez-vous avec cette même gynécologue et je vins avec mon épouse. Je me présentais, dévoilant ma profession d’ostéopathe, ce qui la fît me voir de très haut. J’expliquais ce que je percevais aux tests palpatoires (elle ne comprit pas grand-chose à mon avis) et lui fit part de mon inquiétude, pensant qu’il y avait un véritable problème médical sur l’un des ovaires. « Et que voulez-vous que je fasse ?! » dit-elle sèchement. « Eh bien… peut-être commencer par une échographie, je pense.». Vexée, elle se leva de la chaise, alla dans la salle d’à côté et demanda à ma femme de se déshabiller sans même lui prêter la moindre attention. Je ne dis mot. J’étais content qu’elle l’examine un peu.

Après un silence, elle revint derrière son bureau. Son teint avait changé. Elle était devenue un peu pâlotte. « Oui… en effet… il y a bien quelque chose à l’échographie… Cela ressemble à une nécrose de l’ovaire. On dirait une poche qui étrangle l’organe. » « Et que nous suggérez-vous ? » demandais-je. « Continuer les investigations… Soixante-dix euros, s’il vous plait Monsieur» termina-t-elle.

Ah oui ! Si vous avez rendez-vous chez un médecin et même s’il vous semble qu’il ne fasse pas grand-chose, peut-être vous dirige-t-il tout simplement vers une autre adresse qu’il marque sur un bout de post-it, cela fait aussi soixante euros ou plus chez un spécialiste. Et si vous vous étonnez de devoir quelque chose alors qu’il n’a absolument rien fait, on vous rappelle que de toute façon, c’est remboursé par la « sécu » (!). Sachez que lorsqu’un médecin vous demande si vous allez bien et que vous répondiez, cela suffit pour être considéré comme une consultation. Vous lui devez donc de l’argent. Il ne faut toutefois pas leurrer le public : la sécurité sociale est une caisse commune dans laquelle nous mettons nos propres deniers. Malheureusement, c’est con quand c’est nous qui cotisons et que c’est les autres qui en profitent, mais « c’est remboursé ». En clair, « Ne vous en faites pas ! Vous payez, mais vous n’avez pas l’impression qu’on vous vole. Donc on peut se le permettre ».

Pour la petite histoire, j’ai travaillé sur les éléments recueillis chez la gynécologue et l’ovaire a complètement guéri (vérifié sous échographie et examen endocrinologique). Mon épouse est tombée enceinte quelques mois plus tard et a donné naissance à notre ainée.

Voilà pourquoi lorsque je découvre que ce nouveau petit fœtus pointe vers cet ovaire, et devant les douleurs qui s’accroissent, je m’inquiète et pense à un problème médical sous-jacent.

Ça se complique

Les douleurs deviennent paroxystiques. Mon épouse ne peut plus poser son pied au sol, ni même prendre le moindre appui sur la jambe. La douleur est permanente, qu’elle bouge ou non. Elle a mal vingt-trois heures sur vingt-quatre.

Je sais qu’elle souffre, mais ne me rends compte à quel point qu’au jour où je la découvre la nuit, aux toilettes, affalée sur le sol, pleurant toutes les chaudes larmes de son corps. Elle est épuisée par la douleur. Elle n’en peut plus. Pour ne pas me réveiller, elle se cache dans la salle de bain.

Je pars au travail le matin avec un poignard dans le cœur. La laisser seule avec notre petite de deux ans, dans un endroit inconnu, où nous venons d’emménager, me bouleverse. La sage femme de l’hôpital qui la suit, ni même une autre qui fait de l’acupuncture – pourtant réputée – et encore moins la gynécologue, ne trouvent d’explication à son mal. Je trouve alors, un matin, une nounou et de mon bureau, j’ordonne à mon épouse de se rendre aux urgences. Après six heures d’attente, enceinte, en petite chemise de malade sur un brancard, et juste un léger examen neurologique des yeux (!) fait par un jeune interne à la volée – totalement désabusé par la situation – mon épouse demande à rentrer pour faire le repas, nourrir la petite puis la coucher. On le lui refuse. Elle doit signer une décharge pour pouvoir sortir des urgences. Plus tard, nous apprenons qu’il existe des urgences spéciales destinées uniquement aux femmes enceintes, quelques portes plus loin. Pas un seul employé de l’hôpital n’a été capable de lui souffler le conseil de s’y rendre. Pourtant, passé le septième mois de grossesse, il faut le faire exprès pour ne pas voir qu’elle est enceinte.

Jour après jour, la douleur s’accentue toujours plus. J’annule tous mes patients. Je pars avec elle et la petite à l’hôpital que nous avons choisi pour accoucher. Au standard, j’emprunte une chaise roulante pour la transporter et nous nous dirigeons aux urgences gynécologiques. Nous sommes accueillis par une gynécologue attentive à laquelle j’explique la situation sans rien cacher. Elle est un peu mal à l’aise et demande l’intervention de son responsable, le chef de service, qui entre dans la pièce avec fracas. « Vous êtes ostéopathe. Je n’ai rien à vous dire puisque vous savez tout !? » Pas un bonjour. Juste une remarque désobligeante en guise de salutation. J’ai l’habitude dans ce milieu.  Comme une garde à vue, je ré-explique tout de même, une nouvelle fois, toute la situation. Il donne l’impression que je lui fais perdre son temps. Il se lève, se dirige vers ma femme et frotte l’arrière de la hanche douloureuse. Elle hurle. Diagnostic : « C’est un problème ligamentaire ! ». J’ose : « Oui, je le sais, mais pourquoi ? Qu’est-ce qui maintient cela ?» La réponse est un peu fragile : « C’est comme ça. Beaucoup de femmes ont ça pendant la grossesse. Ça peut disparaître avec l’accouchement… ou pas ».

– Que devons-nous faire docteur ?

– Rien. Prenez ces médicaments. Dolipran et Spasfon.

– Mais elle en prend déjà et ce sont les mêmes. Cela n’a aucune incidence sur la douleur.

– Qu’elle en prenne plus.

– Plus ? Mais elle est enceinte. Ce n’est pas très conseillé, non ?

– Alors qu’elle souffre !

– Bon…. Et puis-je vous demander de prescrire au moins une chaise roulante. Elle ne peut plus du tout se déplacer. Le simple fait de poser sa jambe fait terriblement mal.

– Jamais de la vie !? Ca ne serait pas l’aider ! Qu’elle se force !

– Mais ce n’est pas une question de volonté. Elle aimerait bien pouvoir vaquer à toutes ses occupations mais elle est bloquée par une douleur transfixiante.

– Qu’elle se force, c’est tout !! Ce ne serait pas lui rendre service que de lui donner une chaise roulante ! Et vous, Monsieur – me dit-il en me regardant droit dans les yeux et en pointant l’index –vous n’avez qu’à travailler moins.

– Vous connaissez mon emploi du temps ? J’en suis surpris. Je travaille actuellement trois jours par semaine pour être là pour elle. Cela a-t-il une incidence quelconque sur sa douleur ? Dois-je travailler moins ?

– ….

– N’y a-t-il vraiment rien d’autre ?

– Ecoutez, qu’elle aille chez le kiné au sous-sol et qu’elle demande aussi des séances d’acupuncture chez la sage-femme de l’hôpital qui fait ça.

– Je doute que cela puisse aider, Monsieur, mais nous sommes près à essayer. Merci pour votre patience.

Déception

Nous sortons de l’hôpital décapité. Je pousse la chaise roulante jusqu’à l’escalier de l’entrée principale. La petite de deux ans nous suit sagement, avec son attitude innocente d’enfant. Je tente de rassurer la petite famille que nous formons. « Ça ira ! ». Mon épouse se lève et reste debout devant l’escalier. Je rends la chaise roulante au standard puis cours les récupérer. Nous descendons comme nous pouvons. Chaque pas est un coup de couteau dans sa hanche. Au bas de l’escalier, nous nous regardons. Il n’y a pas de parking proche. La voiture est garée un peu loin. Nous savons que ces quelques mètres vont être difficiles.

Après dix pas, mon épouse s’effondre. Je la retiens sous l’épaule puis la porte dans les bras, tout en tenant la petite par la main. Maman pleure et elle ne sait pas ce qui lui arrive. Je la rassure comme je peux. Je prends une voix calme et rassurante « Tout va bien ma chérie ! ».

A la maison, mon épouse se déplace maintenant à quatre pattes. Cette position grégaire semble la moins douloureuse. Je téléphone immédiatement à ma mère, infirmière, pour me trouver une chaise roulante. Nous prenons rendez-vous également auprès du kiné et de  l’acupunctrice de l’hôpital. Nous nous rencontrons le lendemain. L’acupunctrice nous avoue son impuissance face à ce type de problème. Nous décidons de nous amputer alors de ce type de traitement. Le kiné, lui, masse en profondeur. Nous discutons. Il est un peu gêné de ne proposer qu’une séance de kiné à l’épouse d’un ostéopathe. Je lui dis de manière directe et professionnelle que ce qu’il fait ne donnera rien parce qu’à aucun moment la cause n’a été levée, convaincu qu’il faille d’abord comprendre ce qui se passe avant de vouloir faire quoi que ce soit. Il conclut la séance par une phrase que j’ai trouvé excellente : « Si ça va mieux, reprenez rendez-vous ! ». Et si ça ne marche pas ? Et si la douleur augmente encore ? Devant sa phrase, je n’ai même pas eu le courage de poser ces questions. Nous sortons déçus. Nous savons intérieurement que tout cela n’est que peau de chagrin. Personne ne semble prendre cette douleur avec le sérieux qu’elle mérite. Et puis un jour, une lueur d’espoir.

Diagnostic : le syndrome de Lacomme

Par patients interposés, j’obtiens un rendez-vous en urgence chez un grand ponte de la région. Mon épouse se fait accompagner de ma mère. La consultation est très brève. Elle dure une dizaine de minutes. Le professeur est proche et rassurant. Il écoute un peu la description de mon épouse puis s’installe dans son fauteuil pour écrire une prescription.

« C’est le syndrome de Lacomme. Tenez, prenez ceci. ». Cent cinq euros. Un nouveau rendez-vous dans quinze jours.

Mon épouse est au comble. Enfin. Enfin quelqu’un a trouvé ce qu’elle a. Bientôt, espère-t-elle, ses douleurs disparaîtront. Mais lorsque je rentre à la maison et qu’elle me raconte sa rencontre avec ce ponte, je me dois de la ramener dans la réalité. Un syndrome est un ensemble de signes. Ce n’est pas un diagnostic. Il n’a fait qu’exprimer sa douleur dans un jargon médical, mais n’a posé aucun diagnostic. Il n’a donc aucune idée du pourquoi de son problème.

C’est ainsi qu’un jour, une patiente me vanta les qualités particulières d’un médecin curiste. Se plaignant d’une douleur d’un des pieds, le professionnel palpa un peu et conclut avec sévérité à une « métatarsalgie ».  « C’est fabuleux, non ? En cinq minutes, ce médecin extraordinaire a trouvé exactement ce que j’avais ! ». J’ai eu beaucoup de mal à lui faire comprendre qu’il s’était fichu d’elle, dans la mesure où une métatarsalgie n’est que la traduction scientifique d’une douleur au pied, mais linguistiquement, il s’agit stricto-merdo de la même chose. C’est un discours stérile qui n’aboutit sur rien. Prétendre que « le soleil brille » ou qu’« il fait beau » est exactement la même chose, dit différemment. C’est ce que de nombreux professionnels font pour taire la plainte du patient : lui donner un nom scientifique. Contre un telle évocation, le patient est pris au piège. Il ne peut réfuter ou remettre en cause pour la simple raison qu’il n’a pas les arguments de même niveau pour y répondre. Le voilà avec une étiquette sur le front et il va être très difficile d’en sortir.

Le grand ponte a simplement confirmé ce qu’elle savait déjà : les ligaments tirent et font mal. Pour tout dire, je ne sais même pas si ce grand professionnel avait une idée des ligaments en jeu. Ce n’était visiblement pas son problème. Le traitement qu’il proposa était de la kinésithérapie et encore et toujours plus de Doliprane et de Spasfon. Faire plus de la même chose en espérant un résultat différent, en psychothérapie, cela fait partie des comportements à échec. En médecine, cela semble être encore admis.

Nous revoilà à la case de départ. Mon épouse souffre. Elle ne peut plus se déplacer autrement qu’en chaise roulante (que les médecins ont formellement interdit). Elle devrait se bourrer de médicaments qui ne marchent pas, en prendre plus, malgré leurs inefficacités, sans se soucier de l’enfant qu’elle porte. Les sages femmes de l’hôpital ne veulent plus s’occuper d’elle. Elles ne veulent pas d’histoire avec le grand ponte. Nous voilà, de prime, livré à nous-mêmes et personne qui veuille bien se donner la peine de savoir pourquoi ce bébé est si bas dans son bassin.

Je n’abdique pas

Toute cette histoire prend une tournure bien sombre. Mais je n’ai heureusement pas le tempérament d’abandonner aussi facilement. J’ose remettre en question. Pour moi, chacun a su faire ce qu’il savait le mieux faire, sans jamais chercher l’autre dans sa souffrance, là où il est bloqué. Sans jamais sortir de sa bulle de confort. Oui, c’est très inconfortable de sauter dans l’inconnu. Tout le monde n’en est pas capable, et en a encore moins envie. Il est très difficile d’avouer son ignorance et de dire à son patient « je ne sais pas ».

Aucun n’avait ausculté comme je l’avais fait et personne n’allait visiblement faire plus d’investigation. Cette absence de réaction chez les médecins me révolte et je décide de reprendre tout depuis le début. Il y avait deux raisons à ce que je ne trouve pas : soit le problème est médical, soit il ne l’est pas et je ne suis alors tout simplement pas au bon endroit. L’ostéopathie est un outil extraordinaire qui donne parfois des résultats fabuleux là où d’autres thérapeutiques n’ont donné aucun effet. La réaction du corps médical me montre qu’ils ne savent pas de quoi il s’agit. Il y a de fortes chances que ce ne soit tout simplement pas de leur domaine, ce qui me laisse un champ d’investigation plus large. Je décide donc d’ausculter mon épouse tous les soirs jusqu’à trouver quelque chose.

Les premiers soirs, je ne découvre rien que je n’avais déjà trouvé. J’ai du mal à voir autre chose. Je redessine mentalement tout ce qui se passe dans son corps, mais rien ne vient. Je ne sais toujours pas pourquoi la tête du bébé pointe vers cet ovaire. Puis je me dis que si je ne le vois pas, c’est que je n’utilise tout simplement pas les bons outils. Je dois fouiller là où je ne suis pas allé. En somme, je dois prendre le problème à l’envers et faire ce que je ne fais pas habituellement. Le seul endroit où je ne suis pas allé voir, c’est dans le vagin ou le rectum. Le problème étant plutôt d’ordre gynécologique, j’opte pour le vagin. Il faut dire que des touchers vaginaux ou rectaux, je n’en propose jamais, persuadé qu’il est possible de faire la même chose par voie externe. Et les résultats le prouvent. Mais là, c’est l’un des seuls endroits où je ne suis pas allé voir.

J’explique à mon épouse ma démarche. Elle se moque bien de la manière dont je puisse l’aider, pourvu que cette douleur cesse. J’explore donc la voie vaginale et je découvre en arrière du plancher pelvien une petite masse cicatricielle de la taille d’une tête d’épingle. C’est la seule chose anormale que je trouve d’ailleurs. L’appui fait mal. Je pose délicatement la pulpe du doigt dessus et laisse fondre les tissus. Après cinq minutes environ, l’induration disparaît et ça chauffe un peu. Cela lui fait une étrange sensation. Puis la soirée passe et nous montons nous coucher.

Enfin

Au réveil, mon épouse a enfin bien dormi. C’est sa première nuit réparatrice. Elle se met debout et découvre que la douleur a baissé. « J’ai retrouvé une joie de vivre » me dit-elle avec étonnement. Cette phrase m’interpelle. Je la garde précieusement en mémoire. Puis au fil des heures, elle retrouve de plus en plus de mobilité. Son visage a changé. Elle a retrouvé des couleurs. Le masque de souffrance a disparu.

Le lendemain, elle monte les marches normalement. Sa position antalgique commence à disparaître. Elle ne met plus son buste en arrière. Elle sourit de bonheur. Elle est heureuse de ne plus devoir lutter contre cette douleur sournoise.

Le surlendemain, nous tentons une petite ballade… sans chaise roulante… et ça marche ! Elle n’a presque plus aucune douleur. Demain, elle a un nouveau rendez-vous avec le grand ponte. Elle est heureuse de lui faire part de ma découverte et surtout du résultat inattendu, sans aucun médicament. Mais à mon retour, le soir, elle est un peu déçue de la réaction du grand professeur. Il ne l’a pas ausculté. Il est resté le nez dans ses feuilles sans même lui prêter vraiment attention. Lorsqu’elle a fait part de son enthousiasme, de sa guérison sans kiné, sans médicaments, juste avec l’aide de techniques ostéopathiques, la seule réponse fut « Ahhh ? C’est bien. Cent cinq euros Madame. Merci. » La consultation était encore plus brève que la précédente. Elle était vexée du si grand manque de considération pour ses patients. Et je suis sûr qu’il est persuadé avoir guéri mon épouse par sa prescription que nous n’avons même pas suivi.

Que s’était-il passé en réalité ?

J’avais appris que les cicatrices sont parfois considérées comme nocives pour le corps. Elles agissent comme des aimants tissulaires et peuvent très facilement se transformer en adhérences. Jamais je n’avais imaginé qu’une si petite cicatrice résiduelle de l’épisiotomie du premier accouchement allait donner autant d’effets morbides, d’autant qu’il m’avait semblé avoir bien traité mon épouse après la naissance de l’ainée. Peut-être aurais-je dû prendre la chose avec plus de considération vu les difficultés que nous avions vécu après la naissance. Du coup, j’écoute à deux fois tous les moments difficiles des gens qui viennent me consulter. A coup sûr, la zone corporelle mise en jeu demande plus d’attention.

La cicatrice de l’épisiotomie devait tirer anormalement l’ovaire vers le bas et en même temps l’utérus. J’avais cru que c’était l’ovaire qui tractait tout ce beau monde dans le petit bassin, mais en réalité il y avait autre chose plus bas : le centre périnéal. Certes, cela a dû engager d’autres systèmes : les nerfs, la vascularisation, les muscles, etc. mais je ne comprenais pas ce qui se passait réellement parce qu’il manquait une pièce du puzzle qu’il avait fallu trouver pour corriger. Ce n’était pas si long, si on savait où regarder et c’était là toute l’astuce.

Aujourd’hui, j’accorde beaucoup plus d’importance au centre périnéal, qu’il soit féminin ou masculin. J’ai du coup découvert de nombreux rouages mécaniques derrière des troubles aussi divers que variés : certaines dépressions, des descentes de vessie, certaines fausses sciatiques, des lombalgies sans fin, etc. J’en suis arrivé à la conclusion qu’il est criminel de ne pas vérifier le périnée des femmes qui ont accouché. L’accouchement laisse des traces. La consultation chez un ostéopathe devrait être obligatoire pour toute femme ayant accouché, de même que pour le bébé.

Le syndrome de Lacomme est un état, pas une maladie. Sortez-en !

Ce syndrome ne signifie rien d’autre qu’il existe des tensions ligamentaires anormales au niveau du bassin. Il s’agit d’une observation, mais pas d’un véritable diagnostic. Devant des douleurs ligamentaires, il faudrait demander « Docteur, qu’est-ce qui fait que ces ligaments souffrent ? » et surtout, il faudrait qu’il y réponde. Allez consulter des ostéopathes qui ont un peu d’expérience dans le domaine. Mentionnez bien vos antécédents au niveau du bassin. Très peu de douleurs propres à la grossesse ne résistent à des mains expertes. Si les résultats se font attendre, ne désespérez pas. Il y a une solution et il faut la chercher. La médecine est très utile dans ces moments. Elle permet d’atténuer la douleur et donne le temps de poursuivre les investigations. Dans tous les cas, le courant doit passer entre vous et votre thérapeute, pour la simple raison que vous allez former une équipe gagnante avec lui.

J’invite toutes les femmes à se tripoter un minimum. Ce n’est pas une incitation sexuelle, mais une démarche de réparation des tissus lésés. Inspectez avec un ou deux doigts la vulve et les parois du vagin. Il ne devrait y avoir aucune douleur. S’il y en a une, c’est souvent une zone un peu plus dense, indurée. Appuyez dessus délicatement. Laissez le doigt dessus et attendez. Imaginez que cette zone enfle et de se désenfle au grès de votre respiration. Mieux : imaginez que vous respirez dans ces tissus. Dès que les tissus semblent fondre sous votre doigt, poussez en direction de la zone dense pour essayer de garder la même tension tissulaire. Vous redonnerez ainsi de l’élasticité. Ce n’est pas difficile ! Mais comprenez qu’aucune machine de rééducation ne le fera à votre place. Faites le consciencieusement. Le jeu en vaut la chandelle. Sachez que dans mes recherches, il y a bien derrière le col de l’utérus une zone qui nourrit le cerveau et qui donne cette fameuse joie-de-vivre qu’évoquait mon épouse. Il s’agit d’un feu intérieur très précieux, garant de la sexualité de l’individu. Mieux vaut ne pas tarir cette flamme. Rendez la souplesse à ces tissus malmenés pendant l’accouchement est le meilleur moyen d’assurer la présence de cette petite flamme. Grâce à elle, vous saurez jouir de toute situation, même les plus sombres.

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